mercredi 10 février 2010

Le rapport Karski : une bien triste polémique







Fiction et histoire: les romanciers ont-ils tous les droits ?© AFP/archives - Janek Skarzynski

La polémique autour du livre de Yannick Haenel sur le résistant polonais Jan Karski a été alimentée à ce jour principalement par Claude Lanzmann (auteur du monumental et irremplaçable "Shoah" diffusé à quatre reprises à la télévision Française, 1987 /1993 /1998/2010. oeuvre capitale pour témoigner de l'extermination des Juifs en Europe).

Je ne comprends pas la violence des attaques de Lanzmann. Notamment lors du préliminaire à la diffusion de la seconde partie de Shoah sur Arte il y a deux semaines de cela. Ses propos étaient déplacés. Il se plaçait en seul garant de la vérité historique de la shoah, comme seul garant du respect de la parole du catholique Karski. C'est faire peu de cas de la réduction des 8 heures de shoot à 40 mn dans le film. Le montage est ainsi fait que l'on ne peut retenir tous les rushes. Mais comment expliquer que Lanzmann n'est remonté les rushes Karski que fin 2009 ? afin de répondre à une commande d'Arte me dira-t'on. Où est le respect de Karski quand on attend 30 ans pour lui consacrer un documentaire alors que le matériau brut est là ? Où est le respect de la parole de Karski quand on ne retient "que" son témoignage sur les ghettos et que l'on rejette le combat de Karski pour faire connaître aux dirigeants Alliés la réalité du cataclysme ? En prenant l'angle d'attaque de Lanzmann quand il critique Haenel, on pourrait critiquer Shoah. Qui s'y résoudrait, tant l'oeuvre est étouffante, inclassable, indispensable. Mais elle n'est ni l'oeuvre ultime ni l'oeuvre unique sur ce douloureux sujet, plaie européenne toujours pas cicatrisée. "Les survivants" de Patrick Rotman (2005) est lui aussi le fruit d'un travail de mémoire exemplaire. On peut également utilement citer le documentaire "Paragraphe 175" de 2000 (décrit les persécutions dont furent victimes les homosexuels sous le IIIième Reich. Le paragraphe 175 du code pénal en vigueur sous le Kaiser Wilhelm I fut ré-écrit par les nazis et publié en 1935).
Ainsi donc, un auteur de fiction ne serait-il pas autorisé à mettre en scène des personnages historiques, sauf à répéter l'histoire officielle (si tant est que cela soit raisonnable de figer l'Histoire, interdisant la relecture par les historiens de pièces d'archives). Pierre Assouline soutient que "Quand on met en scène de véritables personnages, on ne peut pas leur faire dire n'importe quoi" (déclaration à l'AFP).
La dernière partie de "Jan Karski" relève de la "pure invention", avertit Haenel. Il y imagine en particulier les dialogues du face-à-face, bien réel, de Karski avec le président Roosevelt qui semble totalement indifférent.

En août dernier, Yannick Haenel, co-animateur de la revue "Ligne de risque", et auteur notamment de Cercle, publie un roman intitulé Jan Karski, dans lequel il rend hommage au grand résistant polonais qui a été l’un des premiers à dénoncer l’extermination des Juifs et l’existence des camps de concentration. Appel qui, d’après Haenel, n’a pas "voulu" être entendu, laissant le messager Karski seul face à l’horreur.

Le roman de Haenel est conçu de manière peu conventionnelle : la première partie reprend les séquences de Shoah dans lequel Claude Lanzmann fait parler Karski. Le second chapitre est consacré au livre de Karksi : Story of a Secret State, paru en 1944 aux Etats-Unis et non encore réédité (prévu aux éditions Robert-Laffont). Enfin, le 3ème chapitre, le plus long et celui qui est précisément au centre de la polémique, fait place à la fiction. Haenel écrit ici ce qu’il pense être les réflexions personnelles d’un Karski désabusé, déçu par l’inertie des alliés, souffrant à jamais de n’avoir pu mener à bien la mission qui lui avait été confiée : sauver les Juifs et la Pologne.

Grand succès littéraire, le livre de Yannick Haenel publié aux éditions Gallimard a reçu le prix Interallié et le Prix du Roman Fnac en 2009.

Claude Lanzmann, lui, accuse Yannick Haenel d'avoir falsifié l'histoire. Comme si le romancier était sommé de respecter des schémas pré-établis. C'est justement la force des écrivains que de ne pas se laisser gagner par le conformisme. Qu'Haenel décrive la rencontre Karksi-Roosevelt en s'écartant totalement de ce que l'on sait de cette entrevue grâce à Karski lui-même, où est le souci ? On a à faire a un roman. Faut-il rappeler à Claude Lanzmann que nombre de publications d'historiens sont orientées, biaisées, malhonnêtes ? On a surtout l'impression en écoutant Lanzmann qu'il interdit à quiconque autre que lui de parler de la shoah. A 83 ans on a l'impression qu'il a été gagné par le gâtisme.
Un écrivain peut-il tout écrire ? c'est sa liberté, son droit. Le lecteur du livre d'Haenel prendra-t'il le récit pour vérité historique. On peut largement en douter. Il semble aujourd'hui impossible d'écrire sur cette période de l'histoire. Que l'on se rappelle Jonathan Littell et "les Bienveillantes". On peut être choqué par de tels livres. Mais vouloir réduire les écrivains au silence procède du fanatisme intellectuel, du fascisme ordinaire (ce sont les frères Garcias qui vont être contents en lisant cela ... un jour je ferai un post complet sur le fascisme ordinaire mais il faut travailler la forme). Pensez comme moi ou je vous anihilerai. Et puis notons que Lanzmann, comme Anette Wieviorka, ont l'indignation bien sélective. La dignité d'un homme ou d'une femme se mesure également à sa capacité à être cohérent. Qu'on se rapelle le combat de Germaine Tillon. Lanzmann fait malheureusement l'effet d'un être aveuglé. Une bien triste fin de vie. D'autant que l'angle de sa critique «La littérature doit ajouter de la vérité» est plus que critiquable et ne manquera pas de donner des arguments à l'extrême-droite française et européenne.

Arte diffusera en mars prochain un document de 52 minutes "Le rapport Karski" de Claude Lanzmann, montage de ses entretiens avec le résistant polonais.

Voir également :
www.mediapart.fr/journal/culture-idees/260110/yannick-haenel-defend-son-roman-jan-karski-face-aux-attaques-de-claude-lanzmann

http://www.lepetitjournal.com/content/view/48346/1091/

Merci à Juan Asensio pour son commentaire (le lien permettra d'avoir une toute autre lecture que la mienne de cette affaire). Je n'avais pas retrouvé la citation du Monde, faute d'avoir consacré suffisamment de temps à ce post. Et pourtant, vous pourrez jugez par vous-mêmes de cette violence et de ce manque de tolérance de Lanzmann :
«Ce petit jeune homme [Yannick Haenel] décrète que je ne comprends pas la littérature. Et il ose écrire : «Contrairement à ce tribunal de l'Histoire, d'où parle Lanzmann, la littérature est un espace libre, où la «vérité» n'existe pas.» Il n'est pas de phrase plus sotte. La littérature n'a affaire qu'à la vérité; si celle-ci n'est pas l'affaire de Yannick Haenel, c'est que Jan Karski, roman, et quoi qu'en dise Sollers, n'est pas de la littérature.»Claude Lanzmann dans Le Monde du 30 janvier 2010.
Voyez la tentive de rabaisser, d'humilier
1. "ce petit jeune homme". Ne vaut-il pas être un petit jeune homme qu'un vieux con ?
2. "il n'est pas de phrase plus sotte".

Je ne crois pas que critiquer Lanzmann revienne à avaliser le travail d'Haenel, encore moins à "jeter quelques mensonges supplémentaires sur les millions de cadavres de Juifs.". Ici encore, surenchère verbale qui n'élève en rien la discussion. Dans un monde on l'on entend certains (je pense notamment aux extrémistes de droite de la LDJ) traiter Rony Brauman ou Michel Warschawski d'antisémites, on peut s'attendre à tout même au plus inepte en terme de communication médiatique. Haenel a pris un certain parti, et s'il ne s'agit pas de littérature les bras m'en tombent. On peut être choqué, gêné, etc, en lisant tel ou tel livre. Voudrait-t'on revenir à la pratique des autodafés ?
Pour en revenir à l'article de Juan Asensio, puisqu'il faut être précis, ce ne sont pas quelques centaines de milliers de juifs qui furent assassinés dans le complexe unique d'Auchwitz-Birkenau (camp d'extermination + camp de concentration) mais 1 million (selon ma référence depuis 20 ans qui est le travail, controversé sur certains aspects, du regretté Raul HILBERG; voir annexe B, page 1045, édition de 1988 de "la destruction des Juifs d'Europe", publié chez Fayard).

Réponse de Yannick Haenel :
http://www.dailymotion.com/video/xbzl35_yannick-haenel-repond-a-claude-lanz_news

1 commentaire:

Juan Asensio a dit…

Bonsoir.
Sur Yannick Haenel, ceci vous intéressera peut-être : http://stalker.hautetfort.com/archive/2010/01/27/bons-baisers-de-pologne-yannick-haenel.html
Cordialement.