samedi 31 mai 2008

L'Afrique au secours de l'Occident ?


L'auteur nous propose un changement de paradigme intéressant mais qui recèle à mon sens un piège qui n'a pas été évité.
Anne -Cécile ROBERT (journaliste au Monde diplomatique et professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’université Paris VIII) est venue le 29 mai 2008 à Toulouse, salle du Sénéchal, à l'invitation conjointe de la section toulousainne des AMD (Association des Amis du Monde Diplomatique) et d'ATTAC-Toulouse. Elle a disposé de ¾ d'heure pour sa conférence, les organisateurs, comme à leur habitude, limitant toujours de manière exagérée la durée des conférences pour laisser une part trop importante au « débat ». Les cours magistraux seraient insupportables à beaucoup, donner la parole au public serait en soi un acte démocratique. Je suis toujours choqué par de telles pratiques. Non seulement je ne pense pas être le seul à apprécier les cours magistraux quand ils sont dispensés par de vrais spécialistes des sujets abordés, mais à vouloir ériger en dogme la doxocratie on participe à la liquidation des principes fondateurs de la démocratie. Non, le « public » n'est pas plus dans la vérité (historique, sociologique, philosophique, politique) que les « experts », mais je considère que le débat ne peut se dérouler que si l'ensemble des participants actifs disposent d'un socle commun de connaissance du sujet. Sinon, il est aussi profitable d'aller dans le café du coin écouter la « voix du peuple ». Restons sérieux, si l'un des objectifs d'ATTAC et des AMD est bien de susciter la réflexion, le préalable indispensable reste l'acquisition des connaissances. Quand je me rends à une conférence, c'est bien parce que j'attends du conférencier (ou de la conférencière) qu'il (elle) me permette d'éclairer tel ou tel sujet sous un angle qui m'est peu familier, qu'il (elle) m'apporte des connaissances, des clés de compréhension. Charge à moi ensuite de digérer ce matériau brut et d'en évaluer la sincérité, la pertinence, la valeur scientifique, de nourrir ma réflexion sans être dépendant.
Ce soir là, donc, la conférence n'échappa pas aux écueils habituels : A.C.R. s'excusa de devoir simplifier par manque de temps, de devoir tenir des propos par trop généraux et donc sinon lapidaires en tout cas entâchés d'à-peu-près. Son propos n'en fut pas moins intéressant mais si elle avait disposer du temps qu'elle (et non des tiers) aurait juger nécessaire pour présenter les thèses développées dans son petit livre. S'ensuivit un débat, qui lui non plus n'échappa pas aux écueils devenus traditionnels de cet exercice : le public réfléchit à voix haute, présente son expérience et sa connaissance du sujet dans un narcissisme affligeant. Le temps vint où, n'en pouvant plus, je du quitter la salle avant la fin de la séance. Mais venons en maintenant au livre et aux idées présentées dont je donne une synthèse :
ACR précise qu'elle n'entend pas tomber dans le piège de l'idéalisation de l'Afrique (des Afriques devrait-t'on dire) et de la démonisation de l'Occident (des Occidents devrait-t'on dire, symétriquement). Elle ne nie pas les drames actuels et passés de l'Afrique, ni les expériences positives occidentales.
ACR nous propose de renverser radicalement le regard porté sur notre « monde mondialisé ».
les sociétés occidentales puiseraient sans vergogne dans les ressources de la planète, altérant gravement le lien social (sans lequel une société humaine n'est plus humaine). Elles seraient en grave crise (identitaire, environnementale, économique, ...). Inféodés et fascinés par le modèle capitaliste et consumériste, ils seraient devenus si individualistes qu'ils courent à leur perte.
les sociétés africaines seraient détentrices de valeurs que l'on ne rencontreraient plus ou presque en dans les sociétés occidentales. L'importance du groupe, du collectif est profondément ancré dans l'âme africaine. Il en résulte des pratiques spécifiques qui font au mieux rire les occidentaux, au pire qui génère une opposition farouche (eg FMI/Banque Mondiale et les tontines). Refus de la tyrannie du temps, rapport différent de l’individu à la collectivité, acceptation et canalisation des passions, résistance à l’accumulation de richesses, insertion pacifique dans l’environnement. Les sociétés africaines seraient donc en mesure d'apporter une vision plus harmonieuse et plus équilibrée du rapport entre les humains et la nature.
L'Occident se plaçant délibéremment dans la posture de celui qui donne et cantonnant l'Afrique dans la posture de celui qui reçoit, instaure par là même non seulement une dépendance, mais un rapport de domination sur un continent entier.
Si les sociétés africaines et leurs élites pouvaient prendre conscience de la fécondité de cette différence de valeurs, et acceptaient de s’en saisir au lieu de se couler dans le modèle dominant, elles rendraient service à la planète entière. Si l’Occident acceptait une Afrique majeure au lieu de toujours, d’une manière ou d’une autre, vouloir la maintenir sous sa coupe, alors le cours du monde pourrait en être changé.
Je partage peu ou prou ces constats/analyses. Mais le piège qui n'est pas évité est bien celui de la recherche des solutions aux angoisses existentielles à travers l'Autre, celui qui enrichit mais celui qui peut rendre dépendant. Si notre bonheur, notre joie de vivre dépend de facteurs extérieurs, si nobles fussent-t'ils, nous sommes sur une pente très dangereuse. La solution ne réside qu'en nous, au plus profond de notre être. Mais la quête semble devoir prendre des chemins détournés. Nous avons effectivement besoin des autres mais pas dans une approche compulsive. Nous deviendrions sinon dépendants de la présence ou de l'absence de l'Autre. Nos sociétés modernes font que peu d'humains sont en capacité de vivre de manière totalement autonome, sur tous les plans. Il est heureux que nous puissions alors découvrir la noblesse du collectif, mais sans oublier que l'individu ne doit jamais se dissoudre dans un plus vaste ensemble. « être » ne signifie pas « ne croire qu'en soi et ses capacités ». Le totalitarisme soviétique a bien montré ce que les excès d'un collectivisme mis au service d'une caste dominante et assoiffée de pouvoir peut générer : une abomination. Le totalitarisme du IIIe Reich a bien montré ce que l'obéissance, la soumission à l'autorité suprême (le Fuhrer) ou à toute autre forme d'autorité (commandant de camp de concentration, blockova, stubova) peut générer : le seul et unique génocide industriel de l'Histoire (la Shoah).
Ni soumission, ni insoumission.

Sources/Renvois :
a) Conférence d'Anne-Cécile ROBERT, Toulouse, 29 mai 2008
b) Internet : http://www.monde-diplomatique.fr/livre/afrique/

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