jeudi 8 mai 2008

L'autre 8 mai 1945 : un désastre

En ce jour traditionnellement dédié exclusivement à la commémoration de la victoire des Alliés sur le IIIème Reich, cette confiscation de la mémoire collective au seul profit d'une histoire ré-écrite par le pouvoir colonial et post-colonial est une insulte aux milliers d'Algériens assassinés dans le Constantinois. Zouaves, Tirailleurs Algériens et Tunisiens, Goumiers Algériens et Marocains , Spahis Tunisiens et Marocains, Tirailleurs Sénégalais, etc ... L'Armée d'Afrique et les Troupes Coloniales avaient pourtant payé un lourd tribut lors des deux conflagrations mondiales. Pas plus que les Juifs français Poilus de 14/18 qui se croyaient légitimement protégés, et qui pour 79 000 d'entre eux ne revinrent jamais de la déportation, nos troupes Nord-Africaines ne seront protégées de la fureur raciste et coloniale. Alors qu'à Setif et ailleurs dans le Constantinois, une aspiration légitime à être considérés par la République, à s'émanciper collectivement, se faisait jour. En fin de matinée à Sétif, puis dans l'après-midi à Guelma, les militants du P.P.A. brandissent des drapeaux algériens, des banderoles appelant à la libération de leur leader politique Messalih Hadj, se mêlent à la commémoration officielle. Des fusillades éclatent. Des européens sont blessés ou tués. La réponse coloniale française, avec l'assentiment des gouvernements Anglais et Américain, sera féroce, dans tout le Constantinois, berceau du nationalisme algérien. Arrestations massives, villages pillés et brûlés, assassinats collectifs. Le bilan des "évènements dans le Constantinois" fourni fin juin par le Ministre de l'Intérieur fait état sera de 102 morts européens et environ 1 500 "indigènes". Les nationalistes algériens annoncent 45 000 victimes. Le renseignement anglais indiquait à la mi-mai "au moins 6 000 morts et 14 000 blessés algériens". Un rapport des services secrets américains de début juillet parle lui de plus de 17 000 morts. Les travaux des historiens situent aujourd'hui le bilan entre 15 000 et 30 000 morts algériens. Assassinés sauvagement par les troupes régulières au sol, les canons de la Marine, les avions de l'Armée de l'Air, les milices des colons.
Quasi privés de leurs droits sociaux, juridiques et politiques, nos "indigènes" étaient bons pour faire de la chair à canon, mais pas pour être reconnus comme des citoyens. Quelques exceptions : l'émergence d'une petite bourgeoisie indigène fut favorisée, notamment issue des familles détenues un temps à la prison de l'île Sainte-Marguerite après la prise de la Smala d'Abd El Kader le 16 mai 1843 par les troupes du Duc d'Aumale (note 1). Une sélection parmi les sujets à fort potentiel et qui serviraient plus ou moins fidèlement le maître Français. La masse algérienne n'avait pas le droit à l'éducation (pourtant obligatoire depuis Jules Ferry ...). Un double collège électoral (européen d'un côté, indigène de l'autre) foulait aux pieds le principe "un homme/une voix" : était-on alors dans le cadre d'une France Républicaine, ou plutôt dans celui de cette France raciste qui perdure encore de nos jours, sous l'aspect du racisme ordinaire de la "France d'en bas" ou du plus abject encore racisme d'une certaine "élite" bien-pensante, fière d'être intelligente, cultivée, littéraire (note 2). Ou de la vision plus que passéiste du pitoyable discours prononcé à Dakar l'été dernier par le tout nouveau Président Sarkozy (discours écrit par le "mentor" élyséen Claude Guéant, et truffé de références à l'idéologie du XIXe siècle qui voyait au mieux l'Afrique comme peuplée d'enfants, inaptes à se projeter dans l'avenir, ou au pire comme définitivement arriérés - note 2).
Oui, il y a un autre 8 mai 1945 à commémorer. Alors que nous n'avons pas fini de payer le prix de 132 ans de présence coloniale et impérialiste en Algérie. Alors que le combat du P.C.A. et des forces progressistes étaient à l'opposé de celui du FLN, ce dernier a imposé sa force, sa brutalité. Il n'y aurait pas d'Algérie fraternelle, progressiste, multi-confessionnelle, pluri-ethnique. Il y aurait des massacres, le drame de l'exil vers la métropole pour tant de harkis et de pieds-noirs. Et finalement, le départ du colonisateur, après tant de larmes, tant de sang versé, tant d'occasions manquées d'établir une vraie paix. Quel gâchis sur celle belle terre algérienne !

Note 1 : près de 800 personnes avec femmes et enfants.
Note 2 : qu'on lise Jules Romain (Académicien Français, auteur de la somme en 27 volumes "Les Hommes de bonne volonté", Grand Officier dans l'Ordre de la Légion d'Honneur) "il m'est arrivé d'avoir en face de moi une rangée d'une vingtaine de noirs purs. Je ne reprocherais même pas à nos nègres et négresses de mâcher du chewing-gum. J'observerais seulement que ce mouvement a pour effet de mettre les mâchoires bien en valeur et que les évocations qui nous viennent à l'esprit vous ramène plus près de la forêt équatoriale que de la procession des Panathénés. La race noire n'a encore donné et ne donnera jamais un Einstein, un Stavinsky, un Gershwin". Ou très récemment, de Richard Millet, l'éditeur du très polémique "Les Bienveillantes" de Jonathan Littell, "l'immigré est aujourd'hui une figure autrement considérable que l'écrivain. Les belles âmes ont travesti en question éthique ce qui relève de l'économique. Dans ce wagon de métro qui m'emmène vers la banlieue Nord de Paris, et où je suis le seul blanc et sans doute le seul français, je songe à cette expression sociologique en vigueur il y a une trentaine d'années : "le seuil de tolérance à l'immigration ". Si je dis que l'Afrique, à l'exception de la chrétienne Ethiopie, ne m'intéresse pas, que je m'y sens esthétiquement indifférent, si je dis que je n'ai jamais désiré une Africaine, et que je vois ce continent à peu près comme le narrateur du roman de Conrad "au coeur des ténèbres" cela implique-t'il que je sois raciste ?" extraits de "L'opprobre : Essai de démonologie " publié le 6 mars 2008 chez Gallimard.

Sources utilisées :
Celle qui a ré-activé ma mémoire de cet autre 8 mai
* Canard Enchaîné, édition du 7 mai 2008, page 7
Celles qui m'ont permis des vérifications croisées :
* Lignes de Fuite, Edwy Plenel, 3 mai 2008
* L'Autre mai 1945, documentaire de Yasmina Adi
Une référence culturelle à la Démocratie Athénienne et les Panathénés :
* Panathénés : http://www.intellego.fr/index.php?PageID=print-document&document=2491

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