samedi 12 avril 2008

Judaïsme universaliste éclairé et judaïsme communautariste appeuré

La mémoire de la Shoah mine-t-elle Israël ? Un débat entre Alain Finkielkraut et Avraham Burg

Dans le n° 3038 de Télérama (semaine du 5 au 11 avril), on peut lire pages 48 à 50 les propos tenus lors d'une confrontation entre Avraham Burg et Alain Finkielkraut. L'occasion pour moi de rappeler à l'ami Etienne que mes analyses ne sont pas farfelues, mais que je défends avec conviction et arguments pesés des positions qui le choque parce que trop éloigné de son confort intellectuel de centre-droit.
Avraham Burg est ancien président de la Knesset (le parlement Israélien). Quand à Alain Finkielkraut, il est comme chacun le sait philosophe et écrivain, et je rajouterai , sans aucune intention provocatrice, 'lanceur d'alerte monomaniaque'.
A la lecture de cet entretien, on voit très clairement l'opposition des systèmes de valeurs. Avraham Burg jette un regard critique sur la société israélienne, propose la vision d'un judaïsme éclairé, ouvert sur le monde, là où Alain Finkielkraut suinte la peur :
A.B. "C'est pour moi le véritable héroïsme : vaincre, grâce à l'espoir, l'horreur rencontrée au cours de sa vie. Et c'est ce qui devrait inspirer Israël". A.F. lui retourne : "en politique, l'injonction 'connais ton ennemi' est fondamentale", " ce n'est pas en regardant aimer l'autre, mais en regardant les choses en face qu'on aboutira peut-être un jour à la paix"
A.V. qui tient ces propos si honorables "l'amour, c'est la capacité de faire confiance à l'autre, sans laquelle vous ne pouvez ni donner ni recevoir. Je n'ai pas votre obsession de l'antisémitisme. Cette obsession de ce que « les autres pensent de nous » est emblématique de la façon dont beaucoup de Juifs ont besoin d'être définis par les autres. Moi, je n'ai besoin de personne pour me définir. Peut-être cela vient-il du fait que je suis né dans un pays souverain. Le point de vue de l'autre m'importe, mais il ne me définit pas, parce que mon histoire, continuation de l'antique identité juive, est mon histoire, indépendamment de ce que les autres en disent.". A.F. , plus que rétif à l'idée de l'internationalisme : "la démocratie métissée se répand, et au milieu il y a ce village völlkisch auquel beaucoup de Juifs sont coupables d'être beaucoup trop attachés ..", ou encore "La confiance est un pari difficile, elle ne peut pas naître simplement du sentiment que nous vivons dans un univers radieux où nous sommes tous frères". L'Autre n'est pas frère en humanité, ne peut être frère en humanité dans la vision de Mr Finkielkraut. L'altérité du goy (ou de celle du Juif qui ne partage pas les convictions communautaristes judaïco-spécifiques, bien qu'il s'en défende, d'A.F.) c'est la "démocratie métissée qui se répand" tel l'ivraie.
A.V. : "Nos parents ont fait les uns et les autres l'expérience du rejet ... mais nos éducations ont produit des choses différentes. Pour vous , l'antisémitisme est unique. Je le vois très différemment, peut-être d'une manière plus sévère, puisqu'on assiste à une fusion entre l'antisémitisme religieux classique et une nouvelle xénophobie d'extrême droite, les deux coopérant avec l'extrême gauche anti­américaine et antisioniste. Mais je pense que l'antisémitisme n'est plus un phénomène unique, il est le révélateur de la qualité morale d'une société. Quand il s'exprime dans une société démocratique, il s'accom­pagne d'autres expressions de haine et de xénophobie : contre les musulmans, les étrangers, les immigrants.
Donc, mon rôle, en tant que Juif et être humain, ce n'est pas de dire « attention, ils me détestent davantage », c'est d'essayer de créer une sorte de coalition mondiale qui va défier la haine et la xénophobie plutôt que la confisquer et la monopoliser." "Chacun son obsession. Moi, c'est la montée du religieux qui m'inquiète, en Israël comme ailleurs. Quand le président de la République française veut réintroduire Dieu dans l'équation, ça m'ennuie vraiment. Il est tellement important que la France soit le champion de la laïcité pour l'équilibre mondial. Le monde n'est pas divisé entre les démocraties et l'Islam, mais entre la civilisation théocratique et la civilisation démocratique. Moi, si le dalaï-lama et le rabbin raciste Kahane tombent à l'eau et que je ne peux en sauver qu'un, je sauve le dalaï-lama, parce qu'il est mon frère dans le système de valeurs qui est le mien. Si vous regardez le monde de cette manière, la question de l'antisémitisme n'est plus la même." A.F. rétorque "Sauf que ... C'est ainsi que marche l'humanité : nous sommes de quelque part, nous appartenons à un peuple ou une nation, et ce que nous pouvons faire pour l'humanité c'est en tant que membres de ce peuple ou de cette nation.". Ce même A.F. qui tient régulièrement des propos plus qu'alarmistes sur l'islamisation de la France, sur le communautarisme musulman, s'autorise des pirouettes rhétoriques pour justifier ses positions.
A. Burg : "Longtemps je me suis considéré comme simplement israélien, avant de comprendre que je n'étais pas loyal à mon être intérieur. Mon nom indique que je suis juif. Mon prénom, israélien. Mais
ma famille, c'est l'humanité. Il y a des contradictions entre les trois, j'essaie de trouver un équilibre." . "En ce qui concerne notre polémique, j'attends le jour où vous ne réserverez plus votre intelligence à la mise en garde, à l'alarme, mais où vous la tournerez en pouvoir créatif pour proposer des solutions constructives. Vous critiquez la façon dont je traite la société israélienne ; mais il n'est pas possible pour moi de ne pas vouloir humaniser cette société. Et lorsque vous dites que la menace qui pèse sur Israël et sur les Juifs est toujours là, vous ne facilitez pas mon travail, car vos paroles ont un impact, là-bas, en Israël. Ce pays est pour moi une réalité qui doit m'assurer que je ne serai plus jamais persécuté. Mais mon judaïsme universaliste est ce qui doit me permettre de ne pas être un persécuteur. Les deux sont pour moi une nécessité ."

Les propos d'Abraham Burg indiqués en gras soulignent la totale convergence de vue/d'analyse entre ma modeste personne et le très sage Avraham Burg. Je note plus particulièrement son appel à un changement de paradigme chez Alain Finkielkrau" "J'attends le jour où ...". Je l'attends aussi depuis un long moment, tant je déplore chez A.F. les fréquents accès de malhonnêteté intellectuelle qui peuvent aisément tromper l'auditeur insuffisament attentif à la forme du discours, souvent élaboré, de l'intellectuel. Déployez votre intelligence cérébrale, non seulement afin de rester vigilants, goyim ou Juifs, face à l'anti-sémitisme. Lanceur d'alerte, oui, mais sans haine du musulman, sans peur de l'autre, sans naïveté extrême.

Pour les non abonnés de Télérama , retrouvez l'intégralité de la confrontation sur le net :
http://www.telerama.fr/monde/27301-la_memoire_de_la_shoah_mine_elle_israel_un_debat_polemique_entre_alain_finkielkraut_et_avraham_burg.php

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