dimanche 15 juin 2008

Monsieur Henri est un grand homme


Henri Alleg, homme de taille modeste, est un grand homme. Aujourd'hui âgé de 87 ans, je le regarde toujours avec déférence, compassion et tristesse.
Déférence car son supplice dans l'Algérie de 1957 aux mains des militaires français et notamment des tortionnaires parachutistes de la 10ième D.P., son supplice fut enduré sans qu'il révèle quoi que ce soit qui aurait compromis ses amis. Monsieur Henri fût arrêté au domicile de son ami Maurice Audin, jeune scientifique arrêté le jour précédent et qui sera éliminé par les paras, non sans avoir mis en oeuvre une macabre mise en scène afin d'accréditer la thèse de l'évasion de Maurice Audin, après avoir été torturé.
Compassion car son supplice, décrit par le menu dans l'ouvrage intemporel "La Question" (ouvrage immédiatement censuré en France mais qui sera publié à l'étranger. Il est aujourd'hui encore étudié, notamment dans des université américaines), son supplice fût une épreuve dont on se demande qui aurait pu en sortir avec cette dignité qui caractérise Monsieur Henri. "La question" mérite d'être lue et relue. Elle est un de ses démentis cinglants (tout comme les textes de Pierre Vidal-Naquet sur l'affaire Maurice Audin) aux odieux mensonges de l'Etat français. Les gouvernements successifs de la IVième puis de la Vième République ont nié l'existence de la torture en Indochine puis en Algérie. "La question" est un texte permettant de réfléchir aux processus menant à la mise en place institutionnelle de la torture, à sa légitimation.
Tristesse parce que la mémoire de Monsieur Henri est hantée par ces souvenirs atroces et son visage l'exprime. Monsieur Henri est un homme si intègre, si respectable. Il rejoint la longue cohorte de ces véritables patriotes, trop indépendants d'esprit, trop utopistes, trop sincères (cf le parcours du Colonel Guingoin).
Monsieur Henri est venu à la librairie Renaissance (à côté de la station de métro Basso Cambo) le 14 juin dans le cadre du Marathon des mots. De larges extraits de "La question" ont été lus avec conviction par le comédien Yvan Morane. Monsieur Henri n'est pas de ces hommes qui se mettent en avant, qui se donnent en spectacle. Monsieur Henri est un homme humble, resté toute sa vie indéfectiblement accroché à l'idée que la dignité d'un homme reposait fondamentalement sur sa capacité à rester jusqu'au dernier souffle de vie fidèle à ses valeurs. Malgré les terribles épreuves subies durant sa détention, Monsieur Henri ne fléchit jamais. Devenu indésirable en Algérie quand le lobby militaro-nationaliste algérien pris définitivement le pouvoir à l'arrivée sur un coup d'Etat du FLN qui porta Houari Boumédiène à la présidence de la République algérienne, il s'exila en France. Son combat pour la liberté ne s'arrêta pas là, bien évidemment. Monsieur Henri est un homme tenace. En 2005, J.P. Lledo l'accompagna, afin de tourner un film documentaire "Un rêve algérien" en 2005. Il retrace son périple dans une Algérie ensanglanté par une guerre civile interminable, prolongation inévitable de 132 ans de présence coloniale française, où il retrouve certains de ses anciens compagnons de lutte. Aimé Césaire dans son "Discours sur le colonialisme" mettait très justement l'accent sur le poison que le colonialisme a instillé non seulement dans les veines des peuples colonisateurs mais également dans celles de peuples colonisés. Aimé Césaire disait fort justement comment il est vain de croire que l'on colonise un pays impunément.

En 2005, Henri Alleg a co-signé une lettre au Président de la République dans laquelle il était demandé à l'Etat français de reconnaître l'abandon des harkis suite aux Accors d'Evian signés en mars1962. Ce qui illustre bien la cohérence et la persistance de son combat.

Ultimes précisions : Monsieur Henri est né à Londres, au sein d'une famille juive russo-polonaise. Directeur du quotidien "Alger Républicain" dans les années 50, tentant de faire vivre, avec ses compagnons de lutte, une parole anti-colonialiste, démocratique, universaliste. Il sera contraint à rentrer dans la clandestinité en 1955 lorsque le quotidien sera interdit de vente. Il milita au sein du Parti Communiste Algérien.

Puissiez-vous encore longtemps éclairer les consciences, Monsieur Henri.

Renvois bibliographiques :
* Henri Alleg : "La question", publié aux Éditions de Minuit, 1961
* Henri Alleg : "Mémoire algérienne, souvenirs de luttes et d'espérances, publié chez Stock en 2005
* Marie-Monique Robin : "Escadrons de la mort, une école française", publié en 2004 aux Editions La Découverte; paru en DVD également.


Renvois Internet :
* Jean-Pierre Lledo : "Un rêve algérien", 2003, film de 110 mn, http://www.lacid.org/films_fiche.asp?id=392
* Marie-Monique Robein : http://www.algeria-watch.de/fr/article/div/livres/escadrons_mort.htm
* Henri Alleg : http://www.sauramps.com/article.php3?id_article=1084

Aucun commentaire: