samedi 7 juin 2008

Punir les pauvres

Punir les pauvres : telle est bien une des ambitions cachées des possédants que l'on voit à l'oeuvre depuis si longtemps. Il n'est point l'apanage exclusif des capitalistes, un de ces avatars pitoyables. Néanmoins, de nos jours, ce système économique et philosophique est incontestablement en position hégémonique. Les possédants n'ont de cesse d'humilier les masses, de leur faire courber l'échine, de promouvoir l'émergence d'une auto-intoxication intellectuelle et morale qui vient en complément d'une propagande plus ou moins finaude à travers les mass-media. Il suffisait de voir et d'écouter mercredi soir une émission de feu-le- service-public-France 2 diffusée à une heure de grande écoute. Nous étions effarés de voir la débauche de moyens que notre Justice, par ailleurs fort mal dotée financièrement, déployait chaque semaine afin de traquer LE délinquant. Le profil était celui, non pas du pseudo-patron dont l'action n'est guidée par aucun principe moral et qui n'a que l'objectif du profit à court-terme, non pas celui du politicien véreux, clientéliste, affairiste, perverti par la quête du pouvoir. Non. Il s'est agit plutôt de la classe moyenne ou de la classe populaire qui commet de temps à autre des infractions au code de la route (excès de vitesse, conduite en état d'ivresse ou sous l'emprise de pyschotropes divers). Voir ce pauvre trentenaire, divorcé, au chômage, tombé dans l'alcoolisme, mais néanmoins conscient des efforts qu'il devait consentir pour "s'en sortir", voir ce pauvre humain, fut un moment pénible car les images étaient dures pour qui considère chaque être comme frère en humanité. Que croyez-vous que furent les mots de la Justice, du Ministère Public s'exprimant au travers de la plaidoirie de l'avocat général : le comportement de cet homme était scandaleux, intolérable pour aux yeux de la société (comme il est toujours surprenant de voir un tel ou une telle s'arroger le droit d'exprimer la position de la collectivité, alors que sa position sociale le cantonne dans une caste de privilégiés). Il fallait sanctionner de tels agissements, vite et fort. L'homme fut condamné à six mois de prison dont trois fermes (il était sous le coup d'une précédente condamnation à trois mois de prison avec sursis). Résigné, abattu, il auto-justifiait la condamnation "quand on fait des conneries, il faut payer". Cet homme, comme tant d'autres "grands délinquants" (vus comme tels par la Justice française), ne sortirait pas de l'ornière alors que les puissants lui donnaient un coup de pied pour le pousser plus bas dans la fosse. Cet homme, comme tant d'autres "grands délinquants", avait besoin d'un regard humain, d'attentions, de considération, de deuxième chance. Ce qui n'exclut pas la responsabilisation de l'individu, acteur de son propre destin. Ce soir là sur France 2, il ne s'agissait pas de promouvoir des comportements citoyens sur la route, mais bien, en filigrane, de présenter un message d'invitation claire à la soumission à l'autorité, fusse-t'elle inique ou illégitime.
Vendredi, il s'agissait du procès des faucheurs volontaires de Haute-Garonne. La Confédération Paysanne, tentant de faire entendre une autre voie du monde paysan face à la toute puissante FNSEA, a déjà été condamnée, collectivement ou individuellement au travers de ses militants activistes. L'appareil d'Etat doit montrer qu'il peut réprimer à tout moment ce qui lui fait peur (en invoquant à l'envi la sacro-sainte Raison d'Etat, ou les non moins tristement célèbres "intérêts supérieurs de la Nation", la Nation étant ici très concrètement remplacée par l'Etat). L'appareil d'Etat et ses dociles serviteurs sont sollicités assez régulièrement pour montrer au bas peuple les limites à ne pas franchir. En cas de "rebellion", vous serez peut-être ruinés financièrement, dégradés psychologiquement, ou à tout le moins condamnés afin que vous rentriez dans le rang.
Dans nos pays occidentaux et au-delà, le citoyen lambda se voir imposer des législations de plus en plus liberticides. L'argument avancé est généralement "nous devons lutter contre toutes les nouvelles formes de terrorisme". L'aspiration à une vie bien rangée, petit être sans ambition autre que matérialiste tranquillement installé dans le confort de la pensée bourgeoise qui se loge dans les esprits de toutes les classes sociales, logé derrière les hauts murs ou grillages de résidences privatives. Oui, ces esprits là sont prêts à renoncer petit à petit aux libertés publiques ou individuelles. Ils arriveront toujours à se convaincre, en se mentant à eux-même à l'occasion, de vivre une vie "normale" dans un pays "démocratique".
Le citoyen lambda se voit toujours sommé de payer pour les fautes des dominants (qui , dans une certaine mesure, sont la conséquence logique de l'infantilité de si nombreux adultes) : faillite du Crédit Lyonnais dans les années 90 (
un trou de près de 20 milliards d'euros pour les finances publiques qui ne sera pas comblé avant 2012 ), faillite de banques touchées par la crise des prêts hypothécaires à hauts risques en 2007/2008 (nationalisation ou injection massive d'argent public pour renflouer leur cash-flow), niches fiscales profitant quasi exclusivement aux plus riches, spéculations contribuant au renchérissement des produits de consommation de base, dé-remboursements de médicaments, instauration de franchises médicales, introduction d'impôts "indolores" comme la CSG en 1996 en France (partiellement non imposable, elle conduit à payer un impôt sur un impôt ...) ou la CRDS en 1996 en France (mesure initialement "transitoire" mais qui a été depuis pérennisée ...), dissémination de plants OGM dans la nature, promotion du productivisme (induisant maladies professionnelles, mal-être).
Soumets-toi, sois docile, expie éternellement tes fautes (réelles, supposées ou imaginaires, voire commises par d'autres) : quel beau message d'avenir pour l'humanité ...

Renvoi :
*
« Punir les pauvres ; le nouveau gouvernement de l'insécurité sociale » Marseille, Agone, 2004, 351 pages de Loïc Wacquant
* http://atheles.org/agone/punirlespauvres
* http://www.local.attac.org/vaud/article74.html

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Quelle énergie de vie déborde de tous ces articles inspirés... Quelle est la prochaine étape ? Bonne route et tous nos affectueux encouragements ! C&C