dimanche 23 mars 2008

Ecrits gnostiques





"Ecrits gnostiques" est un ouvrage publié dans la Pléiade en novembre 2007. Il rassemble les textes de la bibliothèque dite de "Nag Hammadi" (du nom de la ville nouvelle dans laquelle fin 1945 des bédouins égyptiens ont retrouvé des codex gnostiques des II, III et IV siècle ap. JC.). Ces textes ont bien sûr été condamnés par l'Eglise catholique, romaine et apostolique comme textes apocryphes et hérétiques, notamment lors du concile de Nicée (325). Alors même que le très catholique journal "La Croix" en faisait une critique mi-figue mi-raisin (cf ci-dessous), ne voyant aucune raison pour le lecteur de se ruer sur l'ouvrage tant celui-ci proposait une complexité peu en phase avec les envies du siècle de nos concitoyens, je vais donc détonner. En effet, il faut croire qu'encore une fois je vais passer pour un martien, car j'ai fièvreusement acquis cet ouvrage deux jours après en avoir eu connaissance (le temps pour moi de me livrer à quelques recherches sur Internet). Si vous êtes intéressés par l'histoire et les croyances des Chrétiens des premiers siècles, les communautés gnostiques christianisées (ou judaïsées), l'étude d'une voie spirituelle originale, laissez-vous tenter par cette lecture. Le sujet est ardu, convenons-en; il est sujet à polémique (traductions, interprétations, exégèse). Mais pour qui est avide de connaissance, les quelques 1800 pages seront non point un abîme mais une invitation au voyage.

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La critique de La Croix par Michel Kubler (http://www.la-croix.com/livres/article.jsp?docId=2323650&rubId=43500) :
La gnose (du grec gnosis, connaissance) est un courant mystico-philosophique particulièrement important aux IIe-IIIe siècles après J.-C. Formé de courants hétérogènes (ici, les écoles « séthienne » et « valentinienne »), il prône un salut par la connaissance (non par la foi, et encore moins par les œuvres) accessible à une minorité d’initiés. Cet ésotérisme, marqué par un fort dualisme entre le bien et le mal, repose sur l’idée d’une déchéance de l’homme, dont celui-ci ne peut être sauvé qu’en accédant à la vérité. Or, pour tout un courant gnostique, cette vérité est à reconnaître en Jésus-Christ, revêtu dès lors d’un pouvoir salvateur suprême. Ce salut n’est cependant pas accessible à tous : certains en sont dignes d’emblée, d’autres peuvent y être initiés, mais pour la grande masse des humains il restera toujours hors de portée.

On voit d’emblée qu’une telle doctrine est incompatible avec l’Évangile. Même si beaucoup de gnostiques fréquentaient des communautés chrétiennes, l’Église n’a pas tardé à ferrailler avec eux au plan des idées. Saint Irénée de Lyon, en particulier, s’est attaché à réfuter tout le système de la gnose. Son Adversus haereses a fourni, des siècles durant, les seules indications disponibles sur ce courant. Jusqu’à ce que des Européens reviennent d’Orient au XVIIe siècle avec des bouts de parchemin ou de papyrus contenant des bribes de littérature gnostique ; le Musée de Berlin possède ainsi un manuscrit qui resta longtemps le plus riche du genre. Jusqu’à la découverte extraordinaire de Nag Hammadi.

Or, si les textes trouvés en Haute-Égypte ont été largement étudiés par les spécialistes depuis 1945, ils n’avaient encore jamais fait l’objet d’un regroupement intégral, en langue française, à portée du grand public. D’où l’importance de la parution de cette « Bibliothèque de Nag Hammadi » (enrichie du manuscrit de Berlin) dans la Pléiade. La collection mythique de Gallimard reste ainsi à la hauteur de sa mission, elle qui avait déjà publié en 1998 et 2005 deux volumes d’Écrits apocryphes chrétiens : ceux-ci comportaient d’ailleurs déjà (dans une traduction différente) quelques textes repris ici, comme le légendaire Évangile selon Marie (à l’origine de bien des délires contemporains) et l’Évangile selon Thomas, prototype de la littérature gnostique.

Bien au-delà de ces titres connus, quarante-huit livres au total sont ici rendus accessibles, grâce au travail d’une équipe de l’université Laval de Québec. Leurs intitulés sont souvent aussi hermétiques que la démarche qu’ils traduisent : Livre des secrets de Jean, L’Entendement de notre grande puissance, Livre sacré du grand esprit invisible, sans parler de L’Hypostase des archontes et d’Apocalypses attribuées à Adam, Pierre ou Jacques. Rien, sans doute, qui fera se ruer des lecteurs ou saliver des romanciers en panne d’imagination mystico-virtuelle…

Un vrai trésor, par contre, et une immense matière, pour quiconque veut se familiariser avec cet univers, notamment les chrétiens qui, à la suite de saint Irénée, voudront relever le défi que la gnose lance à la foi. La première propose en effet une « voie » permettant de connaître Dieu à partir de la connaissance de soi, sans recours obligé à la communauté ; la seconde, au contraire, énonce que l’autre homme et le monde – pour lesquels le Christ est mort – sont le lieu où Dieu se laisse découvrir et aimer, l’Église étant le « sacrement » (c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen) de ce salut.

Ultime remarque : la gnose, ainsi perçue comme issue très personnelle de salut, hors de toute institution et sans système dogmatique, se révèle de grande modernité – voire de postmodernité. On comprend mieux, en visitant cette « bibliothèque de Nag Hammadi », qu’elle séduise des esprits contemporains soucieux d’un « religieux » qui serait indemne de toute structure établie – avec aussi ce paradoxe d’un goût actuel pour des « choses cachées » qui se nourrit de leur prétendue dissimulation par l’institution ecclésiale… Comme si notre époque devait retrouver un culte des antiques « religions à mystère », avec comme seul horizon celui d’une montée de l’humain vers le divin pour s’échapper d’une création ratée. Une époque à laquelle ce serait rendre un sacré service que de faire découvrir – d’expérience, plus encore que par la science – trois belles vertus dont les gnostiques étaient fort dépourvus. Des vertus qui se nomment foi, espérance et amour.
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Que Michel Kubler ait décidé d'autorité que les gnostiques ne disposaient d'aucune des trois vertus foi/espérance/amour, révèle clairement un manque de connaissance des textes gnostiques ainsi que d'ouverture d'esprit. Que je sache, les catholiques n'ont pas le monopole de ces vertus, et nombre d'entre eux n'en sont détenteurs d'aucune, ou tout au mieux de deux d'entre elles (foi/espérance).

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