mercredi 23 janvier 2008

Lignes de fuite

"Lignes de fuite" est une émission hebdomadaire de France Culture (le samedi de 17h56 à 18h; le podcast de la dernière émission diffusée est disponible sur le site internet de France Culture : http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture/podcast/ pour la liste de toutes les émissions podcastées, ou directement en ajoutant cette adresse à votre logiciel d'écoute de podcast : http://radiofrance-podcast.net/podcast/rss_10472.xml; l'écoute des archives est possible également), une chronique intelligente, brillante même, du journaliste Edwy Plenel. Un vrai regard critique, un ton vif et parfois acerbe. Qui tranche avec la droitisation de France Culture depuis quelques années et la malhonnêteté intellectuelle d'un Alain-Gérard Slama, d'un Alexandre Adler voire, parfois, et je le regrette, d'un Alain Finkelkraut (tous trois pourtant gens de culture, intellectuellement brillants). Ce 5 janvier 2007, E. Plenel lit un extrait des causeries du samedi de PMF : il suffit d'écouter et l'on reconnait à coup sûr le souffle, l'humanisme, l'intelligence, le respect des autres, la pensée mendésistes. Je ne peux résister au plaisir de retranscrire ici cette chronique dans son entier :

Lignes de fuites, 5 janvier 2008, Edwy PLENEL

C'est un mot, un seul mot, un simple mot , qui de nos jours n'a pas très bonne presse. Même certains journalistes le déconseille, lui préférant la neutralité, l'hônneteté, l'objectivité, tous ces termes qui euphémisent, comme l'ont dirait endormir. Ce mot c'est tout simplement « vérité ». Bizarre, comme c'est devenu un lieu commun de proclamer son caractère relatif, discutable, moralisateur, normatif, totalitaire, prétentieux, que sais-je. Or voici que j'ai sous les yeux un petit livre, simplement intitulé « dire la vérité ». Quelle prétention ! quel orgueil ! quelle folie ! J'y lis ceci par exemple : « Oui, le salut exige que le régime républicain soit fondé sur des relations étroites qui seules permettent la franchise réciproque la plus complète; celle du gouvernement qui explique sa politique jour après jour, qui ne biaise pas, qui ne dissimule pas et qui n'hésite pas à faire front sur le bon sens, le courage et la foi du pays. Celle du parlement qui exprime fidèlement la volonté populaire, et la fait respecter et celle du pays tout entier qui doit choisir son destin en pleine connaissance de cause pour l'accomplir d'une volonté affirmée. ». J'y lis aussi ceci « Je tiens maintenant à venir m'entretenir avec vous. Mon propos n'est pas de vous donner de grandes nouvelles, ni de vous annoncer des décisions importantes que vous ne connaissiez déjà. Non, l'objet principal de cette allocution est de vous dire mon intention de m'adresser régulièrement à vous pour vous parler en toute simplicité, comme ce soir, et vous tenir au courant de ce que fait, de ce que pense le gouvernement, qui est votre gouvernement. ». J'y lis encore ceci : « Puis-je vous adresser une demande personnelle, à chacun de vous ? Oui, je vous le demande : ne laissez pas s'écouler ce dimanche sans avoir réfléchi, au moins quelques instants, à cet appel que je viens de vous faire, à cette aide que chacun de vous doit m'apporter. ». Imaginez-vous un tel propos aujourd'hui à la radio ou à la télévision. Cet éloge du parlement, cet appel au collectif, ce souci de l'exactitude, et par dessus tout, cette révérence à la vérité, cette soif disait-il de vérité qu'il jugeait indissociable de l'appétit de progrès. Et oui, « dire la vérité », c'est le titre sous lequel les éditions Tallandier, dans leur collection Texto, ont eu la bonne idée de re-publier « les causeries du samedi », et nous sommes samedi, de Pierre Mendès-France. Vous le savez, Pierre Mendès-France n'est resté que sept mois et quelques jours au pouvoir. Pourtant, ces moments si brefs de notre vie politique, il y de cela plus d'un demi siècle, restent encore une référence. Alors même qu'ensuite PMF ne sera plus jamais un acteur décisif de notre vie publique, si l'on entend par là le pouvoir, sa quête, son goût. Pourquoi, pourquoi cet écho, cet éclat si fort, si vif, malgré l'échec, malgré le temps. Parce que nous y mettons notre regret, câché, silencieux, d'une politique d'exigence, d'une politique d'ambition, d'une politique de vérité. D'une politique qui ne se ramènerait pas à cette pauvre, à cette dérisoire histoire qu'on nous rabâche depuis tant d'années maintenant, de Mitterrand à Sarkosy en passant par Chirac. L'aventure d'un seul homme, d'un seul homme, qu'un homme comme tous les autres, comme vous et moi auquel seul le pouvoir, son appétit, son goût, pas l'appétit du progrès, pas l'appétit de la vérité, le goût, l'appétit du pouvoir, confère des attraits particuliers. Oui, c'est cela l'utopie Mendès-France, la politique à hauteur d'homme. Son préfacier, Eric Roussel, le dit fort bien. Je le cite : « Pierre Mendès-France, s'il consultait les sondages, n'en était pas l'esclave. Il pensait que les idées justes finissent par triompher, à condition qu'on en fasse éclater le bien-fondé. Tel était précisément à ses yeux la mission de l'homme politique. Aucune concession à l'irrationnel de la part de cet héritier des lumières. Aucun calcul politicien. Seulement la rage de convaincre le citoyen avec la certitude que la démocratie est une chose fragile, que l'on pervertit faute d'un code moral. C'était donc ma causerie du samedi, et, allez, c'était un peu aussi mes voeux.

".

Ces "causeries du samedi" de PMF ont donc été récemment ré-éditées :
Dire la vérité : Causeries du samedi, juin 1954 - février 1955
Dire la vérité : Causeries du samedi, juin 1954 - février 1955 par Pierre Mendès France (Broché - 4 octobre 2007) . Prix indicatif : 6,50 Euros.

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